Bonjour francesco,
francesco a écrit:(...) Intéressant, cette histoire de set theory. J'en avais un peu entendu parler mais sans trop de détails.
Je m'y suis un peu penché, mais n'ayant pas l'esprit matheux, j'ai capitulé au bout d'un certain temps, notamment lorsqu'il commence à être question de fonctions...
Qu'entends-tu par fonction précisément ? Sinon, je conviens qu'il faut aimer manipuler les nombres, les chiffres, les ensembles. Si les maths sont loin pour moi, je dois avoir quelque part l'esprit matheux, c'est ce que m'avait souligné un ami prof de maths en me voyant utiliser Patchwork puis Open [url]http://repmus.ircam.fr/openmusic/overview]Music[/url], (distribué gratuitement par l'Ircam). Sinon, je te rejoins partiellement. Si la Set Theory s'était déclinée uniquement en termes mathématiques, en équations, en théorie des ensembles, je n'aurais pas insisté. Mais il se trouve que dans Open Music, il y a une librairie spécialisée concernant les opérations de Milton Babbit (le précurseur) et celles proposées par Allen Forte avec une représentation visuelle avec le cercle dodécaphonique. Et ces outils [url]http://recherche.ircam.fr/equipes/repmus/Analyse/openmusic/om_set_theory.html]outils[/url]
m'intriguaient, j'avais compris comment obtenir une transposition, une permutation, une inversion, mais il y avait d'autres possibilités que je ne comprenais pas. C'est ce qui m'a amené à approfondir la Set Theory tout comme je souhaitais comprendre la structure de la musique atonale. Et pour ça la représentation via la notation du cercle dodécaphonique (modulo 12) m'a été très utile. Celle-ci permet de comprendre des fonctions mathématiques abstraites et du coup de pouvoir utiliser tant dans l'analyse que dans la composition la Set Theory.
Sans doute, lorsqu'elle est apprivoisée, peut-elle rendre de bon services lors d'une phase de recherche de matériaux. On a tous besoin d'un cadre et d'une matière à développer (notes, mélodies, harmonies, échelles etc.) D'après ce que j'ai compris, la set theory permet, à partir de matériaux simples, d'obtenir toute une gamme de figures secondaires. Elle permet ensuite d'élaborer des stratégies de composition en établissant un parcours donné : transformations, fonctions, évolutions... Dis-moi si j'ai bien compris.
A la base, c'est Milton Babbit qui en est le précurseur, avec ses manipulations combinatoires et opérations autour d'agrégats de 12 sons, avec des techniques dérivées de celles de Schoenberg et Webern. Ensuite, Allen Forte a, entre autres propositions, élaboré un classement des accords ou d'agrégats jusqu'à disons 8 à 9 sons. Et ce classement était surtout destiné à l'analyse d'oeuvres atonales. D'autres théoriciens ont apporté leurs contributions à cette Set Theory comme Richard Cohn, John Rahn, Georges Perle, David Lewin. Et notamment en élargissant le registre de la Set Theory à la composition. Et depuis le début des années 2000, l'Ircam a intégré ces outils notamment dans Open Music et surtout a effectué la promotion de cet outil d'analyse en organisant tous les ans un symposium autour de la ST.
Ce qui me paraît être le tour de force de cette théorie c'est qu'elle permet d'analyser des pièces qui lui sont antérieures. C'est à dire qu'elle met en valeur des aspects récurrents de la musique atonale qui lui sont pourtant étrangère. Signe peut-être que les compositeurs sont sensibles sans le savoir à des rapports mathématiques que cette théorie exprime. Cela touche, sinon à la métaphysique, à une forme de "méta-musique".
C'est intéressant ce que tu écris là. Pour ma part, venant de la musique électronique, habitué à travailler avec des timbres, des sons, à les créer puis à les agencer, la musique atonale et notamment dodécaphonique et sérielle m'a toujours intéressé. Et si je savais
effectuer toutes les opérations autour d'une série de 12 sons (rétrograde, inversion, inversion du rétrograde) il persistait toutefois un mystère, c'était sa structure, son organisation interne. N'ayant pas fait le conservatoire - grrr, à une époque quand je travaillais dans les Maisons de la Culture, j'ai bêtement refusé - il y avait des tas de choses qui m'échappaient, je pense notamment à la prééminence des intervalles dans l'organisation d'une série dodécaphonique, la Set Theory m'a beaucoup apporté dans cette compréhension.
[/quote]En revanche il y a quelque chose qui me chagrine, c'est qu'elle s'attaque uniquement aux paramètres descriptifs classiques : hauteurs, intervalles, durées etc.
Or, à mon sens, pour travailler ces paramètres, tous les systèmes se valent. Parce qu'ils ne sont qu'un moyen de produire de la matière première. [/quote]
Oui, je suis d'accord ce n'est qu'un système parmi d'autres. Mais pour ma part, comme j'aime bien travailler avec des séries, ça me donne des outils tant de construction que d'organisation et de manipulation, de combinatoire.
De plus, avec la représentation du cercle dodécaphonique/intervallique, il y a des mises en évidence que je trouve très intéressantes. Je pense particulièrement à la symétrie de la structure intervallique du mode Dorien et de la relation "miroir" entre les modes :
http://www.deb8076.eu/SetTheoryA/ModesSymetrie.html, de même j'ai trouvé intéressant de mettre en valeur la construction de la gamme par tons et expliqué par Arnold Schoenberg dans son son
Traité d'Harmonie (
http://www.deb8076.eu/SetTheoryA/ModesSymetrie.html) avec la représentation via le cercle dodécaphonique. C'est visuel.
Je pense qu'on a surtout intérêt aujourd'hui à travailler sur les gestes, les matières, les couleurs. Dans ces domaines, le champ d'exploration se situe plus dans une manière d'orchestrer, de penser l'écriture en terme de mouvement instrumental ou vocal.
Mais cela ne me semble pas incompatible, bien au contraire. Quand tu examines les travaux préparatoires du Marteau sans Maître de Boulez ou de Pli selon Pli à partir des deux ouvrages publiés en Fac-Similés, il y a justement ce travail en amont sur les mouvements, les couleurs, les intensités, les timbres. C'est stimulant à découvrir et là aussi, ça ouvre des pistes. En fait, la ou les séries ne sont là que pour avoir une base de notes. Son système de prolifération du matériau avec son processus de multiplications d'accords est pour le moins passionnant à comprendre et à assimiler.
Par exemple avec le choeur que je dirige, je leur demande "un cluster grave avec le son "o". Quelles que soient les notes qui le constituent, je vais obtenir la même matière, la même couleur... bien que le résultat soit différent à chaque fois.
Je vais vraisemblablement dire une bêtise car je ne suis pas convaincu que ma proposition soit réaliste mais si dans ton cluster tu introduis quatre sons différents (o, u, a, mmm), du grave à l'aigu, tu as 24 permutations possibles que tu peux obtenir à la main :
- (o u a mm) (o u mm a) (o a u mm) (o a mm u) (o mm u a) (o mm a u) (u o a mm) (u o mm a) (u a o mm) (u a mm o) (u mm o a) (u mm a o) (a o u mm) (a o mm u) (a u o mm) (a u mm o) (a mm o u) (a mm u o) (mm o u a) (mm o a u) (mm u o a) (mm u a o) (mm a o u) (mm a u o) - [/quote]
Ensuite, je suis d'accord, parfois l'aléatoire n'est pas satisfaisant. On a souvent besoin de fixer les hauteurs, d'écrire les notes. Mais dans bien des cas il me semble que les notes elles-mêmes soient moins importantes que la silhouhette qu'elles dessinent.
Oui, tout à fait d'accord. On en a une bonne illustration avec des très beaux timbres synthétiques, si tu joues des notes atonales, ça passe quand même, le caractère dissonant est caché par la joliesse du timbre.
Les intervalles ont leur personnalité propre. Je préfère les transformer "à l'oreille" plutôt que mathématiquement, car c'est alors moi qui fixe le seuil d'audibilité de ces transformations...
Les deux solutions ne sont pas incompatibles et surtout leur caractère mathématique disparait avec la représentation du cercle dodécaphonique/intervallique, on visualise de nouveaux rapports, des symétries, des liaisons.
Ce ne sont que des réflexions personnelles, en étant bien conscient que je n'ai qu'effleuré la surfaced e la théorie. Mes lacune sont donc bien grandes dans ce domaines. Mais il faut que je le manifeste, je me méfie un peu de ces sytèmes, si puissant soient-ils, qui pourraient n'être qu'un jeu de combinatoire.
Je comprends ta méfiance. Mais ce ne sont que des outils, que des aides à la décision. C'est nous qui, au final, effectuons les choix.
En tout cas, merci pour cette discussion intéressante.